La presse a perdu une bataille contre Google, elle aurait pu perdre la guerre
La création d’un droit voisin pour la presse n’aura pas eu l’effet escompté par certains. Google ne versera pas un centime aux éditeurs et des articles auront une visibilité réduite dans les résultats de recherche. L’issue de cette bataille menée par certains était pourtant évidente…
Rémunérer la presse, des fantasmes à la réalité
Au printemps dernier, l’Union Européenne a adopté une directive introduisant un droit voisin pour la presse. Objectif : obliger les plateformes qui référencent des articles de presse, en affichant des éléments issus de ces articles, à rémunérer les titres de presse concernés.
La France a été le premier pays à transposer dans le droit national cette directive européenne. Cocorico ! La loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse » entre en vigueur à la fin du mois, obligeant les plateformes à rémunérer la presse (ou pas).
Google est clairement visé et sa réponse fut lapidaire : plutôt que de rémunérer la presse, Google n’affichera plus d’extrait issu des articles de presse. Seul le titre restera visible, les images et les mots issus du corps de l’article ne seront pas repris. Une application à la lettre de la loi. Les résultats de recherche (Search) sont concernés, tout comme Google Actualités ou Discover.
Les titres de presse peuvent en revanche ajouter un code sur leur site pour préciser qu’ils acceptent que des extraits ou des photos soient repris gracieusement par Google.
Manque de culture numérique ou subterfuge politique ?
La réaction de la presse ne s’est pas faite attendre. Plus précisément : quelques titres, réfractaires à ce changement, espéraient obtenir un pécule du géant américain. Ils voulaient le beurre, le trafic organique obtenu via Google, et l’argent du beurre, ou plutôt celui de Google. Cette presse qui a vu ses revenus publicitaires d’antan passer entre les mains de Google et Facebook pensait obtenir gain de cause et enfin renverser le paradigme actuel. Il n’en fut rien. L’entreprise a, comme toute entreprise, comparé les avantages et les inconvénients des différents scénarios, et estimé que passer à la caisse pour référencer les articles de presse n’était pas la solution la plus rentable.
Dans ce combat, cette presse a rapidement été rejointe par des responsables politiques, heureux de pouvoir surfer sur cette vague de contestation. De par leurs décisions à l’échelon européen et national, ils ont tenu un discours conquérant, faisant naître l’espoir d’enfin renverser le paradigme d’un Google tout puissant qui récolte l’essentiel de la manne publicitaire, pour celui d’un géant enfin contraint de rémunérer la presse à sa juste valeur.
Le mécanisme choisi par Google pour ne pas être concerné était évident et simple à mettre en place, les députés ont donc voté pour une directive européenne et une loi française qui n’auront aucune conséquence bénéfique pour les titres de presse. L’ont-ils fait par manque de culture numérique, par manque de sérieux ou en pleine conscience, estimant que cet écran de fumée proposé aux concitoyens allait leur permettre de pointer plus facilement du doigt le vilain petit canard de Mountain View ? Quelle que soit la raison, elle est mauvaise. Les échanges internationaux qui aboutiront peut-être à une taxation globale des GAFA semblent bien plus à même de répondre à la problématique du partage de valeur que ces lois déconnectées de la réalité.
Des dégâts collatéraux finalement limités
Une certaine presse estimera qu’elle a perdu une bataille. Mais dans cette affaire, c’est tout le secteur de la presse qui aurait pu vaciller. Google a pris une décision limpide, mais cette décision reste mesurée.
D’un côté, les titres de presse qui souhaitent rester pleinement visibles le peuvent, en ajoutant simplement une ligne de code à leurs pages web. La plupart des titres de presse majeurs l’ont fait, comme le révèlent nos confrères du JDN – et nous aussi, bien entendu ; ceux qui s’insurgent en public contre la mise à jour de Google s’y sont également résolus, plus discrètement. Le développement est très peu coûteux et permet aux titres de presse de déclarer la dose de contenu qui peut être repris par Google : combien de caractères, quelle résolution pour les images et quelle durée pour les vidéos.
Il est nécessaire de rappeler que la décision de Google aurait pu être beaucoup plus radicale et nuire très fortement à l’ensemble du secteur. En 2014, les responsables politiques espagnols avaient décidé de voter une loi similaire, qui avait conduit à la fermeture pure, simple et définitive de Google Actualités en Espagne. Google a, un temps, fait planer cette menace sur toute l’Europe, avant d’appliquer une action beaucoup plus mesurée. Google aurait eu parfaitement le droit de fermer Google Actualités en Europe et cela aurait été un cataclysme pour l’ensemble de la presse ; mais force est de constater que Google aussi a besoin de ces contenus.
Certains ont voulu jouer sur deux tableaux, en tentant de soustraire leurs principaux canaux d’acquisition. D’un côté, il y a les SEO, les SEA, qui œuvrent chaque jour pour augmenter le trafic obtenu via Google Search, Actualités, Discover, Apple News et les réseaux sociaux ; de l’autre, des personnes qui auraient pu précipiter tout un secteur, déjà très fragilisé, vers une situation encore plus sombre qu’aujourd’hui. Les meilleurs s’adapteront et réussiront à s’octroyer une part de la valeur ; mais cette tentative a bien failli emporter avec elle tout le travail et l’énergie des médias conscients que le numérique est un écosystème, et que dans un écosystème, on ne réussit pas en tentant d’attaquer un peu naïvement ses partenaires.
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