La possible vente de Google Chrome en 5 questions
Depuis ce lundi 21 avril, les autorités américaines examinent les mesures envisagées pour rompre le monopole de Google. BDM revient sur cette procédure historique.

Qui aura la peau de Google Chrome (1/5)
Au terme d’une procédure initiée en 2020, le ministère américain de la Justice (DOJ) pourrait bientôt prononcer une décision historique : un démantèlement de Google, incluant la cession de son navigateur Chrome. Si ce scénario venait à être confirmé, il s’agirait d’un tournant, dont les conséquences restent encore difficiles à évaluer. En attendant l’épilogue de ce bras de fer, BDM ouvre une série en cinq volets consacrée aux prétendants hypothétiques au trône laissé vacant par Chrome. Ces outsiders, d’Arc à Firefox, qui tentent de se faire une place sur un marché écrasé, depuis 2008, par le « Big browser ». Chacun avec leurs atouts.
Pour le premier épisode de cette série, retour sur les tenants et les aboutissants de cette procédure.
Pourquoi Google est-il dans le viseur de l’administration américaine ?
« Après avoir examiné et évalué attentivement les témoignages et les preuves, le tribunal parvient à la conclusion suivante : Google est en situation de monopole, et s’est comporté comme tel pour préserver ce monopole ». C’est en ces termes qu’Amit Mehta, juge fédéral de Washington, a qualifié les pratiques du géant américain dans un jugement rendu à l’été 2024. Une décision historique qui, si elle est confirmée dans les semaines à venir, fera date. Car elle ouvrira la voie à un possible démantèlement, une première dans l’histoire des GAFA.
Pour comprendre comment la firme de Mountain View s’est retrouvée au cœur de cette tempête, il faut revenir en arrière. Depuis 2020, elle est visée par une procédure pour abus de position dominante, impulsée par l’administration Trump et rapidement rejointe par une trentaine d’États. Cette procédure a mené à l’ouverture d’un procès, qui a duré dix semaines à l’automne 2023, lors duquel des milliers de documents et des centaines de témoignages ont été examinés.
En substance, l’administration américaine reproche plusieurs pratiques anticoncurrentielles à l’entreprise :
- La conclusion d’accords exclusifs, notamment avec Apple ou Mozilla, pour garantir que Google soit le moteur de recherche par défaut sur Safari et Firefox,
- Le contrôle absolu sur Android, son système d’exploitation mobile, qu’elle utilise pour imposer ses services comme Search ou l’IA Gemini,
- Une collecte massive des données utilisateurs, qui renforce sa position dominante et rend impossible toute tentative de rattrapage par ses concurrents,
- Une forme d’entrave à l’innovation dans le domaine de la recherche en ligne, en verrouillant l’accès à un marché qui aurait pu accueillir davantage de concurrence.
Quels services de Google pourraient être concernés par le démantèlement ?
Dans un long document rendu public en novembre et accessible en ligne, le département américain de la justice (DOJ) avance plusieurs pistes pour démanteler une partie des activités de Google ou, à défaut, l’empêcher de tirer un avantage déloyal sur ses concurrents :
- Le partage des données de Search : c’est un « remède » passé relativement inaperçu, note The Verge, mais qui pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes pour l’entreprise. Dans son jugement final, le ministère américain de la Justice estime que Google a construit son avance grâce à un immense volume de données collectées via des pratiques monopolistiques, ce qui prive ses concurrents d’un maigre espoir de combler l’écart. Pour casser ce cercle vicieux, le DOJ propose que la firme soit contrainte, pendant dix ans, de partager ses signaux de classement ou les données de ses requêtes avec ses rivaux « à un coût marginal ». « Ces données pourraient permettre à des moteurs comme Bing ou DuckDuckGo d’améliorer rapidement leurs services », analyse The Verge.
- La cession du navigateur Chrome : c’est la mesure « choc » du dossier. En 2025, Chrome cannibalise plus de 60 % de part de marché aux États-Unis et peut être considéré, à ce titre, comme le principal point d’entrée vers les autres services de Google, dont son moteur de recherche. S’il devait céder Chrome, Google n’aurait, en outre, pas l’autorisation d’en concevoir une alternative équivalente. Enfin, le géant devrait également se séparer de son projet open source Chromium, qui sert de base à plusieurs navigateurs du marché, dont Brave, Opera ou Microsoft Edge.
- La fin de la passerelle Android : initialement envisagée, la proposition de vente d’Android n’a finalement pas été retenue par le département américain de la Justice, mais elle « devrait rester sur la table si Google ne respecte pas les mesures proposées ou si celles-ci s’avèrent moins efficaces que prévu », souligne The Verge. L’objectif, pour les régulateurs, est de priver Android de son rôle de passerelle vers d’autres services de la firme. Chrome, Search ou Gemini n’y seraient, par exemple, plus installés par défaut. Ce principe pourrait devrait d’ailleurs s’étendre de l’écosystème Google, dont YouTube, qui bénéficie à bien des égards de la puissance tentaculaire de la firme.
Le scénario d’un démantèlement est-il vraiment crédible ?
À ce stade, rien n’est joué. Mais une première incertitude a été levée en mars : l’administration Trump a choisi de s’aligner sur celle de Biden en réitérant la demande de démantèlement de Google – une position qui était loin d’être acquise. Car si le dossier a été lancé sous son premier mandat, Donald Trump avait, jusqu’ici, laissé planer le doute quant à son appui à ses mesures susceptibles de bouleverser en profondeur l’un des poids lourds de la tech américaine. « Nous voulons avoir des entreprises puissantes. Et nous ne voulons pas que la Chine ait ces entreprises. Aujourd’hui, la Chine a peur de Google », avait-il déclaré mi-octobre, rapporte Le Monde. La présence de Sundar Pichai lors de son investiture en janvier n’était pas passée inaperçue. Tout comme les « pèlerinages » du PDG de Google avec Sergei Brin à Mar-a-Lago, rapportés par le New York Times.
En outre, si la procédure dure en longueur, un revirement est tout à fait envisageable. Le ministère américain pourrait finalement privilégier des mesures plus allégées que celles évoquées au départ, ou trouver un accord amiable. À la fin des années 1990, Microsoft avait lui aussi été visé par un procès antitrust aux États-Unis : un juge fédéral avait initialement statué contre la firme de Redmond sur « la plupart des chefs d’accusation et ordonné le démantèlement de l’entreprise », raconte le New York Times. Mais Microsoft avait fait appel et, en 2001, avait trouvé un terrain d’entente avec l’administration Bush.
En cas de cession, combien pourrait valoir Google Chrome ?
Quel prix pourrait-on accoler à un navigateur web contrôlant plus de 66 % du marché mondial ? Difficile à dire, en l’absence d’un précédent comparable, note Le Figaro. Un seul exemple, dans l’histoire récente, permet d’avoir un ordre de grandeur : en 2016, le navigateur web Opera avait été cédé à un consortium chinois pour 600 millions de dollars. Une acquisition qui incluait également ses applications de performance et son service de VPN, mais qui excluait ses activités publicitaires. Et il s’agit d’un deal d’une autre échelle : d’après StatCounter, Opera est adopté par environ 2 % des internautes en mars 2025.

En novembre, Mandeep Singh, analyste chez Bloomberg Intelligence, s’est tout de même risqué à une estimation : avec ses 3 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, Google Chrome pourrait valoir « entre 15 et 20 milliards ». Encore faudrait-il qu’un acquéreur se manifeste, si la firme de Mountain View était définitivement reconnue coupable de pratiques anticoncurrentielles.
Car si Chrome est « crucial pour l’activité publicitaire » de Google, notamment grâce au suivi de l’activité des utilisateurs loggés qui lui permet d’offrir un ciblage précis, il n’est pas « directement monétisable », nuance un analyste interrogé par Bloomberg. « Il sert de passerelle vers d’autres services et il est difficile de mesurer sa valeur en termes de revenus directs ». Pour espérer une vente, il faudrait donc un acheteur disposant d’une large surface financière et capable de capitaliser sur cette immense base d’utilisateurs. Sans, pour autant, être lui-même dans le collimateur des régulateurs, ce qui écarte d’office des géants comme Amazon ou Meta. Parmi tous les prétendants, Mandeep Singh n’en voyait qu’un seul réellement crédible, même s’il jugeait une vente « extrêmement improbable » : OpenAI. Selon l’analyste, une telle acquisition « lui permettrait de bénéficier d’un canal de distribution et d’un business publicitaire pour compléter ses abonnements à ChatGPT« .
Quand la décision finale sera-t-elle rendue ?
Ce dossier tentaculaire, bâti pendant 3 ans sous deux présidences américaines par le ministère de la Justice, rappelle le New York Times, connaîtra sa première conclusion dans les prochaines semaines. À compter du 21 avril 2025, le juge Amit Mehta présidera deux semaines d’audiences visant à examiner les solutions proposées pour encadrer les pratiques monopolistiques de Google, dont la possible cession de Google Chrome ou la fin des accords exclusifs avec Apple ou Mozilla. Sa décision finale est attendue en août.
Mais la procédure pourrait encore s’étendre sur plusieurs années. Google, qui conteste fermement les « remèdes proposés » et « le programme radical » du département américain de la Justice (DOJ) a déjà annoncé son intention de faire appel.
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