Payer les créateurs, une obligation pour les réseaux sociaux ?
Au-delà de l’aspect moral, la rétribution des contributeurs semble être un passage obligé pour les plateformes en phase de croissance.
Des leaders tentaculaires en situation de monopole
Le marché du numérique est propice à la naissance de géants. Google, Facebook, Amazon, Apple, Microsoft… Ces entreprises ont réussi à installer un certain degré de monopole sur leurs périmètres. La loi du Winner takes it all s’applique la plupart du temps, même si certains acteurs plus vifs tentent parfois de remettre en cause cette domination. L’effet de réseau et de liaison entre les services permet souvent aux GAFAM de balayer d’un revers de main leurs concurrents.
Des copies systématiques pour freiner la croissance des acteurs innovants
Si le groupe Facebook domine les réseaux sociaux et les messageries, des concurrents ont parfois réussi à l’inquiéter. On pense d’abord à Snapchat, qui aura su innover avec ses stories et ses messages éphémères. Puis à TikTok, évidement. Quand une application devient un peu trop populaire, les géants du numérique ont deux solutions : (tenter de) racheter ou copier les fonctionnalités. Les stories sont arrivées sur Instagram puis sur Facebook (et partout ailleurs sur le web), les statuts ont été repensés sur WhatsApp, les messages éphémères et les photos/vidéos à vue unique ont investi les messageries… Pour contrer TikTok, Instagram a lancé les Reels… et même YouTube a franchi le pas avec les Shorts. Quand on voit que les stories arrivent sur TikTok et que Snapchat a lancé Spotlight, on se dit aussi que les copiés d’hier sont devenus les copieurs d’aujourd’hui.
Une stratégie adoptée par tous les services numériques, même en B2B
On assiste aux mêmes phénomènes pour la plupart des services numériques. Il suffit de regarder les innovations apportées par Slack, dont la croissance est aujourd’hui freinée par la montée de Microsoft Teams. L’intégration de la messagerie à Microsoft 365 aura permis à la solution de s’imposer en entreprise. Et quand on voit la place qu’aura Microsoft Teams sur Windows 11, on se dit qu’il sera difficile de passer à côté… même si le rachat de Slack par Salesforce pourrait lui permettre de mieux résister.
Un acte nécessaire, mais pas toujours suffisant pour rester dominant
Si Facebook n’avait pas racheté Instagram, puis copié allégrement Snapchat et TikTok, la situation sur le marché des réseaux sociaux serait sans doute bien plus équilibrée. Mais parfois, l’effet réseau n’est pas suffisant. Les géants craignent, à raison, que leur puissance ne soit pas assez grande pour contrer un nouvel acteur déjà trop installé. Pour accélérer l’acquisition de nouveaux utilisateurs et diminuer plus rapidement la croissance des concurrents, ils décident désormais de payer les créateurs.
Le rôle essentiel des créateurs pour les plateformes
Sur TikTok, Snapchat, Instagram, YouTube et les autres plateformes, les créateurs de contenu sont ce qu’il y a de plus essentiel. Et ce n’est pas un hasard si on parle depuis longtemps des YouTubeurs, des Instagrameurs et désormais des TikTokers, tant les créateurs deviennent liés à la plateforme sur laquelle ils diffusent leurs contenus. Bien que les blogs soient encore utilisés par un quart des influenceurs, les réseaux sociaux se sont rapidement imposés grâce aux facilités de connexion, de diffusion et de création qu’ils offrent à leurs utilisateurs. L’inertie est importante, les créateurs s’installent à relativement long terme sur les plateformes qui les accueillent car les barrières à la sortie et à l’entrée sont nombreuses. S’ils bénéficient aujourd’hui d’une communauté et d’une audience, rien n’indique qu’ils la retrouveront ailleurs.
Une stratégie adoptée par Snapchat, YouTube, TikTok…
Quand on n’a pas tous les arguments pour attirer les créateurs, on sort le chéquier. Ces entreprises sont dans une situation où la dépense d’argent est un investissement pour mieux s’imposer sur leur marché.
200 millions de dollars pour TikTok, 1 million de dollars par jour pour Snapchat…
L’été dernier, TikTok a lancé un fonds de 200 millions de dollars pour soutenir, attirer et conserver les créateurs sur son application. Il est disponible en Europe depuis la rentrée 2020. Deux mois plus tard, en parallèle du lancement de Spotlight (une copie de TikTok), Snapchat a annoncé offrir un million de dollars par jour pour récompenser les contenus les plus créatifs. Le système a désormais changé, l’investissement est moins clairement défini : signe que Snapchat a réussi à attirer assez de créateurs pour atteindre une taille critique pour cette fonctionnalité ?
Des géants comme YouTube adoptent la même stratégie : en mai 2021, un fonds de 100 million de dollars a été mis en place pour rétribuer les créateurs sur Shorts, malgré que le service soit encore en bêta. Désormais, les utilisateurs peuvent gagner jusqu’à 10 000 dollars par jour grâce à leurs courtes vidéos.
Un passage obligé pour atteindre une taille critique et vendre du temps d’attention
L’approche pécuniaire semble un passage obligé. Dans un monde numérique où tout se ressemble, où les fonctionnalités sont systématiquement copiées, et où un acteur finit presque toujours par dominer les autres car les utilisateurs appellent les utilisateurs, l’argent est devenu un argument de plus pour attirer les créateurs. Et par extension les utilisateurs, qui via le temps qu’ils passent sur ces applications et leurs activités, permettent aux plateformes de vendre du temps d’attention de plus en plus ciblé aux annonceurs. Obtenir ou conserver sa place de « plateforme N°1 pour [faire quelque chose] » est essentiel. Cette stratégie est parfois utilisée pour contrer un acteur en croissance mais aussi pour défendre son propre produit innovant. On remarque d’ailleurs que TikTok a été l’une des premières plateformes à ouvrir un fonds aussi important pour les créateurs.
Les plateformes ont donc beaucoup à gagner à redistribuer une partie de leurs revenus aux personnes qui les font vivre. C’est aussi une dépense de communication, car ces actions leur permettent se positionner comme des acteurs qui soutiennent la création. Instagram, Snapchat, TikTok et YouTube semblent aujourd’hui engagés dans une campagne onéreuse mais nécessaire pour attirer et conserver leurs utilisateurs.