Le paradoxe Spotify : des profits records mais une image de marque sabotée

Ces derniers mois, Spotify collectionne les polémiques, mais ça n’a visiblement aucune incidence sur ses revenus.

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Spotify, c'est 696 millions d'utilisateurs mensuels dans le monde, et 12 millions d'abonnés payants en France. © ImagesRouges - stock.adobe.com

Il aura fallu dix-huit ans à Spotify pour que la couleur de ses comptes s’accorde enfin avec celle de son logo. Le 4 février dernier, la firme suédoise fondée en 2006 par Daniel Ek et Martin Lorentzon annonçait un bénéfice net de 1,14 milliard d’euros. Une première sur un exercice annuel complet, alors qu’elle affichait encore 446 millions d’euros de pertes l’année précédente. Et la dynamique ne semble pas s’essouffler : ce mardi 29 juillet 2025, Spotify a annoncé un bénéfice net d’exploitation de 406 millions d’euros, en hausse de 52 % mais légèrement inférieur à ses prévisions, rapporte Le Figaro.

Il faut dire que l’entreprise, qui revendique 696 millions d’utilisateurs actifs mensuels sur sa plateforme (+11 % en un an), a trouvé la bonne formule. En sabrant dans ses effectifs, en diversifiant son offre – avec les podcasts et les livres audios – et en augmentant ses tarifs, Spotify ne se contente plus de croître à toute allure pour écraser le marché du streaming musical, maintenant qu’elle totalise plus d’abonnés que YouTube Music, Amazon Music et Apple Music réunis. Celle qui affirmait en 2018, au moment de son introduction en Bourse, ne « pas être une entreprise comme les autres », vise désormais, comme tout le monde, la rentabilité. Un virage qui plaît aux marchés, jusqu’à faire flamber le prix de son action. Début 2025, sa capitalisation boursière atteignait 110 milliards de dollars, un record, rapportait Les Échos.

Ce qui étonne, c’est qu’en parallèle, la plateforme n’a sans doute jamais été autant critiquée. Déjà épinglée par le passé, notamment lorsque le contrat d’exclusivité avec l’animateur controversé Joe Rogan avait été renouvelé, Spotify s’enfonce ces derniers mois dans plusieurs polémiques, qui écornent son image sans pour autant entamer la solidité de son « bon business », pour reprendre les mots de son fondateur. Compilation des sujets qui fâchent, en version texte plutôt que MP3.

La prolifération des morceaux et des artistes générés par l’IA

Spotify laisse-t-il prospérer des groupes générés par l’IA, sans les identifier comme tels ? La question se pose après l’épisode The Velvet Sundown. Début juillet, ce prétendu groupe de rock indépendant, semblant tout droit sorti des seventies, a été propulsé par l’algorithme puis intégré à certaines playlists, au point d’attirer plus d’un million d’auditeurs mensuels, grâce à deux albums publiés coup sur coup. Alors que tout semblait pourtant indiquer qu’il s’agissait d’un « projet de musique synthétique guidé par une direction artistique humaine », comme l’ont finalement reconnu ses créateurs, après un léger moment de flottement. Notamment des photos officielles ou des pochettes d’albums visiblement générées par l’IA.

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Avec ses « albums », ce groupe généré par l’IA cumule plusieurs millions d’écoutes. © Capture BDM

Si l’exemple de The Velvet Sundown a concentré l’attention médiatique et provoqué, par ricochet, le départ d’une poignée d’utilisateurs, il ne serait pas isolé. La prolifération des morceaux générés par IA sur Spotify ne daterait pas d’hier, alors même que la plateforme se veut prudente sur le sujet. Dès 2022, le quotidien suédois Dagens Nyheter avait repéré plus de 800 faux artistes polluant certaines playlists très écoutées avec des morceaux générés par l’IA. Plus récemment, une enquête de 404 Media révélait que des morceaux créés synthétiquement avaient pu être publiés sur la page officielle de plusieurs artistes, dont celle du chanteur country Blaze Foley, décédé en 1989. Et ce, sans l’autorisation des ayants droit.

Dans son ouvrage Mood Machine, la journaliste américaine Liz Pelly va plus loin encore. Elle y révèle l’existence d’un programme interne chez Spotify, baptisé Perfect Fit Content, littéralement « contenus parfaitement adaptés » en français. Son rôle : veiller « au placement de musiques stock », notamment des sons d’ambiance créés à bas coût par des artistes fantômes,« dans des dizaines et des dizaines de playlists très écoutées » expliquait-elle au Monde. « Un ancien employé de Spotify m’a rapporté que les dirigeants de l’entreprise partaient du principe que l’utilisateur moyen de la plateforme ne remarquerait pas que les chansons étaient produites par de faux artistes ». Depuis, Spotify a démenti ces accusations, sans vraiment éteindre l’incendie.

Le modèle de rémunération des artistes jugé inéquitable

Le modèle de rémunération market centric de Spotify, également exploité par la plupart des plateformes, continue de susciter des débats, que ce soit chez les utilisateurs ou chez les artistes. Et ce, malgré les déclarations répétées de la plateforme qui, encore récemment, se targuait d’avoir versé 10 milliards de dollars à l’industrie musicale, et 60 milliards depuis sa création. Même Emmanuel Macron s’en est ému, qualifiant ce modèle de « biaisé » dans les colonnes de Variety, notamment à l’encontre des artistes français, même s’il n’avait pas spécifiquement nommé Spotify. Moins diplomate, l’artiste islandaise Björk avait affirmé que « Spotify était la pire chose qui soit arrivée aux musiciens », pointant du doigt son système de redistribution des royalties obligeant les artistes à compter sur les tournées pour dégager des revenus.

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Spotify estime avoir reversé 60 milliards à l’industrie musicale depuis sa création. © Spotify

Pourquoi ce modèle pose-t-il problème et agace-t-il a tous les étages ? Parce qu’il profite d’abord aux artistes les plus écoutés. Pour faire simple, une fois sa commission prélevée (environ 30 %), Spotify mutualise les revenus générés par les abonnements, puis les dispatche au prorata du nombre d’écoutes mensuelles. Résultat : en 2024, même si vous ne les avez jamais écoutés, une part de votre abonnement a très probablement fini dans la poche de Jul, Werenoi ou Tiakola, les artistes les plus streamés en France.

« Si vous êtes fan d’un artiste et que vous écoutez exclusivement cet artiste pendant tout un mois, vous avez cumulé 150 écoutes, on pourrait dire que l’ensemble de votre consommation a été vers cet artiste et que vos 12 euros doivent lui revenir. La réalité, c’est que ce n’est pas comme ça. Ces écoutes vont peut-être apporter 50 centimes à l’artiste, et 11,50 euros vont partir dans la grande masse qui va être distribuée à d’autres », illustre Alexandre Saboudjian, PDG de Winamp, lors d’une interview accordée à BDM. « Donc il y a quelque chose qui n’est pas toujours logique dans ce système, et malheureusement c’est au bénéfice des grands artistes, et beaucoup moins au bénéfice des artistes qui débutent ».

Mais existe-t-il des alternatives ? Oui, et c’est bien pour cela que Spotify est critiqué. De nombreux artistes défendent un modèle user centric, dans lequel ils seraient directement rémunérés par les écoutes de leurs auditeurs. Parallèlement, un autre modèle, baptisé artist centric et qui « garantit que les artistes bénéficiant d’une base de fans active reçoivent une part plus équitable des revenus », selon la Sacem, qui le soutient, est actuellement testé. Notamment par la plateforme française Deezer.

L’enchainement des augmentations de prix des abonnements

Depuis 2023, Spotify semble avoir pris goût aux hausses de prix. Fixé à 9,99 € depuis le lancement de la plateforme en France, comme le rappelait Le Parisien en juillet 2023, le tarif de l’abonnement Premium individuel, qui offre un accès illimité au catalogue pour un utilisateur, a grimpé de plus de 21 % en trois ans. L’addition est encore plus salée pour l’offre Famille, dont le prix a augmenté de 42 %. Comment expliquer une telle envolée, après tant d’années d’immobilisme ? Les raisons avancées varient selon les années, et sont parfois plutôt bancales : en 2023, Spotify souhaitait s’aligner sur la concurrence, après une année compliquée financièrement, et ainsi continuer à offrir « de la valeur aux fans et aux artistes ». En 2024, la hausse, moins forte, était attribuée à la nouvelle taxe sur le streaming, avec une certaine malhonnêteté, jugeait Télérama. En 2025, elle visait simplement à « continuer à innover », alors que l’expérience proposée a assez peu évolué ces dernières années. Actuellement, les abonnements proposés en France sont les plus chers de la zone euro. De quoi susciter, à chaque révision tarifaire, une salve de commentaires désabusés sur les réseaux sociaux.

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Depuis deux ans, les prix des abonnements s’envolent. © Capture BDM
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