Microsoft Edge, un navigateur hanté par le fantôme d’Internet Explorer ?
Souvent décrié, le navigateur lancé par Microsoft en 2015 pour remplacer Internet Explorer dispose pourtant de nombreux atouts. Est-il sous-estimé ?

Qui aura la peau de Google Chrome (3/5)
Au terme d’une procédure initiée en 2020, le ministère américain de la Justice (DOJ) pourrait bientôt prononcer une décision historique : un démantèlement de Google, incluant la cession de son navigateur Chrome. Si ce scénario venait à être confirmé, il s’agirait d’un tournant dont les conséquences restent encore difficiles à évaluer. En attendant l’épilogue de ce bras de fer, BDM ouvre une série en cinq volets consacrée aux prétendants hypothétiques au trône laissé vacant par Chrome. Ces outsiders qui, d’Arc à Firefox, tentent de se faire une place sur un marché écrasé, depuis 2008, par le « Big browser ». Chacun avec leurs atouts.
Pour ce troisième épisode, nous revenons sur Edge, le navigateur lancé par Microsoft en 2015 pour succéder à Internet Explorer, dont l’héritage est difficile à assumer.
En juin 2022, Microsoft a tourné une page de l’histoire du web. En fermant définitivement Internet Explorer, la société de Bill Gates a mis fin au long supplice du logiciel qui fut, pendant près de vingt ans, le navigateur installé par défaut sur les appareils Windows. Avec lui, cette relique du web des années 90 a emporté des décennies de souvenirs et de mèmes sur son interminable temps de chargement. Comme souvent, Microsoft ne s’est pas attardé sur le passé. Le successeur désigné, Edge, avait été dévoilé sept ans plus tôt et n’attendait que la mort de son ancêtre pour briller à son tour. Mais il est difficile de se défaire d’une image aussi tenace. Malgré ses atouts, Edge a, dès ses débuts, traîné la mauvaise réputation de son prédécesseur. Microsoft mérite-t-il une seconde chance ?
Microsoft Edge, ou comment succéder à une relique du web
De la fin des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000, Internet Explorer a connu une hégémonie quasi totale sur le marché des navigateurs, atteignant jusqu’à 95 % des parts de marché au cours de l’année 2004. Ce succès s’expliquait autant par ses performances que par son inclusion systématique dans l’écosystème Windows, au détriment de concurrents comme Netscape. La stratégie était alors perçue comme une entrave à la libre concurrence et a conduit à plusieurs poursuites judiciaires aux États-Unis et en Europe à l’encontre de Microsoft. Ce même Microsoft qui, devant les tribunaux, reproche aujourd’hui à Google de verrouiller le marché des moteurs de recherche.
À partir du milieu de la décennie, Explorer s’est retrouvé dépassé par l’arrivée de nouveaux concurrents, Mozilla Firefox et (surtout) Google Chrome, qui se distinguaient par des mises à jour fréquentes, de performances plus élevées et un meilleur respect des standards web. Face à cette évolution, Internet Explorer a peiné à suivre le rythme, ce qui a conduit à une expérience de navigation de plus en plus frustrante pour ses utilisateurs : lenteurs, bugs, affichage défectueux de certains sites, mais aussi failles de sécurité fréquentes, qui en faisaient une cible privilégiée pour les attaques en ligne. Entre 2004 et 2015 (année du lancement de Edge), Internet Explorer est passé d’une position monopolistique à seulement 20 % de parts de marché.
Avec Edge, Microsoft a donc voulu repartir d’une page blanche. Mais si, dans la communication, le successeur était supposé représenter une rupture radicale avec Explorer, les contraintes techniques ont obligé Microsoft à opter pour un entre-deux. Ainsi, la première version d’Edge reposait sur un nouveau moteur de rendu appelé EdgeHTML, distinct de celui d’Internet Explorer, mais toujours développé en interne par Microsoft. Ce choix visait à créer un navigateur plus rapide et plus conforme aux standards web modernes, tout en assurant une certaine compatibilité avec les technologies héritées utilisées dans les environnements professionnels. Mais cette version peinait à convaincre : elle souffrait toujours de problèmes de compatibilité avec certains sites web, d’un écosystème d’extensions limité, et restait étroitement liée à Windows 10.
Chromium : la vraie rupture avec Internet Explorer
Il aura fallu attendre 2019 pour que Microsoft Edge opère un virage plus radical. Le navigateur a alors « une réputation plutôt mitigée », selon les euphémismes du vice-président du groupe Joe Belfiore, principalement en raison de ses problèmes de compatibilité. Plusieurs possibilités ont alors été envisagées : intégrer Edge au Microsoft Store pour le rendre accessible aux versions antérieures de Windows et rapprocher les mises à jour, investir davantage de ressources d’ingénierie pour corriger les bugs, continuer avec EdgeHTML et en améliorer progressivement la compatibilité… Mais aucune de ces options n’a été jugée suffisante pour relancer le navigateur, et l’entreprise a finalement opté pour une rupture nette, en basculant Edge vers Chromium, le projet open source de Google qui sert de base technique à Chrome.
Pour construire la version actuelle de Edge, Microsoft a donc activement collaboré avec les équipes de Google sur le projet Chromium. « Heureusement, dès que nous avons fait cette annonce, nous avons reçu de nombreuses réponses positives de la part des ingénieurs de Chromium et d’autres fournisseurs de navigateurs Chromium, qui étaient très enthousiastes à l’idée de nous voir rejoindre cette communauté », se rappelait, dans The Verge, Jatinder Mann, responsable du programme Microsoft Edge.
Autre son de cloche du côté de Mozilla, qui craint alors que la bascule d’Edge vers Chromium n’encourage les développeurs à se concentrer uniquement sur Chromium et Safari, laissant de côté les autres acteurs. Au média VentureBeat, un porte-parole proteste : « Nous n’allons pas concéder que l’implémentation du web par Google est la seule option que les consommateurs devraient avoir. C’est pour cette raison que nous avons créé Firefox et que nous nous battrons toujours pour un web véritablement ouvert. » Mais le passage de Edge à Chromium n’aura fait qu’amplifier la chute du navigateur open-source.
Microsoft Edge : qu’est-ce que ça vaut ?
Dix ans après son lancement, Microsoft Edge ne s’est jamais réellement imposé. Il reste sous la barre des 6 % de parts de marché, bien loin des chiffres d’Internet Explorer, qui en détenait plus du double à son crépuscule. Mais le moment n’est-il pas venu de porter un nouveau regard sur Edge ?
Une façon douce de quitter Google Chrome
Si vous résidez en France, il y a à peu près 7 chances sur 10 pour que vous utilisiez actuellement Chrome. La capacité de Microsoft Edge à remplacer le navigateur de Google sera donc un élément déterminant pour évaluer son intérêt, en particulier dans l’hypothèse d’un démantèlement de Google. L’utilisation de Chromium constitue alors un atout de choix. Concrètement, cela signifie que :
- L’interface — présentation générale, menus et disposition — reprend les repères familiers de Chrome.
- Le navigateur est compatible avec l’ensemble des sites conçus pour Chrome, y compris les services web complexes et les applications professionnelles. Cela garantit un affichage stable, même sur les plateformes les plus exigeantes.
- Les extensions issues du Chrome Web Store peuvent être installées sans nécessiter de modification.
- La transition depuis Chrome se fait sans difficulté, grâce à l’import automatique des favoris, mots de passe, paramètres et historiques de navigation.
Un navigateur moins gourmand que Chrome
Microsoft Edge intègre plusieurs optimisations visant à réduire l’utilisation de la mémoire vive (RAM), notamment la mise en veille automatique des onglets inactifs. Cette fonctionnalité permet de libérer de la mémoire sans fermer les onglets, ce qui peut améliorer les performances, en particulier sur des machines disposant de ressources limitées. Par ailleurs, Edge propose un mode « Efficacité » conçu pour limiter la consommation énergétique, notamment lors de l’utilisation sur batterie. Cette fonctionnalité réduit l’activité du processeur et augmente l’autonomie des appareils portables.
Si vous avez été traumatisé par Internet Explorer, vous vous demandez peut-être si cette économie d’énergie s’effectue au prix d’une insupportable lenteur. Sur ce point, Edge ne semble pas encore en mesure de concurrencer Chrome. La plupart des tests effectués durant l’année écoulée, dont ceux menés par PC World, Selectra et Magic Lasso Adblock, semblent indiquer que Chrome et Safari restent plus performants sur cet aspect. Mais aucune comparaison n’est possible avec Internet Explorer : avant même son passage à Chromium, Edge devançait déjà son prédécesseur. Actuellement, et hormis pour certains usages intensifs, l’avantage de Chrome en termes de vitesse est à peine perceptible.
Des fonctionnalités exclusives
Certes, Microsoft Edge n’est pas une alternative aussi radicale qu’Arc et ses espaces de travail flexibles, mais il dispose toutefois de fonctionnalités absentes sur Chrome qui valent la peine d’être explorées. Les voici :
- La protection contre le suivi : Edge intègre par défaut une fonction de protection contre le suivi, conçue pour limiter la collecte de données lors de la navigation. Trois niveaux de protection sont disponibles : Basique, Équilibrée et Stricte. Ce dernier niveau bloque un grand nombre de traqueurs ainsi que certaines publicités, sans nécessiter d’extension tierce.
- Le mode Lecture immersive : le navigateur permet d’activer un mode de lecture simplifié (raccourci F9), qui supprime les éléments visuels superflus d’une page web (publicités, menus, arrière-plans distrayants) pour ne conserver que le texte principal. Le contenu est alors affiché dans un format lisible, avec des options de personnalisation de la taille de la police et du fond.
- Les onglets verticaux : Edge propose un affichage des onglets en colonne verticale, sur le côté gauche de l’écran. Cette disposition, déroutante au premier abord, se révèle rapidement très pratique pour améliorer la lisibilité et la gestion des onglets, en affichant le titre de chaque page plutôt que de simples icônes.
- L’intégration de Copilot : Microsoft Edge intègre désormais l’assistant IA Copilot, qui peut vous aider à accomplir diverses tâches directement dans le navigateur. Accessible depuis la barre latérale, il peut résumer des articles, répondre à vos questions, et même analyser des contenus visuels.
Quant au moteur de recherche par défaut, il est toujours possible d’utiliser Bing de le modifier dans les paramètres.
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