L’IA en renfort, la créativité en premier : le regard de créateurs français
Les créateurs et créatrices français ont-ils adopté l’IA ? A-t-elle été bien accueillie chez les créatifs ? BDM a rencontré certains d’entre eux, qui nous partagent leurs pratiques, mais aussi leurs attentes et leurs inquiétudes.
Dans le monde de la création, les logiciels et outils d’Adobe sont devenus incontournables. Mais depuis peu, un nouveau paramètre, et pas des moindres, est venu perturber les processus de travail de nombreux créateurs et créatrices : l’intelligence artificielle. Souvent présentée comme une menace existentielle, elle est néanmoins utilisée par 83 % d’entre eux en France, selon une étude d’Adobe et Harris Poll menée auprès de 16 000 créateurs dont 2 006 dans l’Hexagone. Mais qu’en pensent les principaux intéressés ? BDM leur a posé la question.
De l’excitation à l’adoption, les premiers pas des créateurs avec l’IA
Trois profils, trois univers créatifs
Kumo Bryo (@kumo_bryo sur TikTok) se définit principalement comme photographe, mais aussi vidéaste. Sur TikTok et Instagram, il met en scène des portraits artistiques et dévoile les coulisses de ses projets : « Comment je réalise, comment je m’y prends, depuis le choix de l’objectif jusqu’à la gestion de la lumière. » Son contenu tient également du tutoriel « mais de manière assez ludique« . Son arsenal : Photoshop, Lightroom, After Effects et Premiere Pro.
Marie Elena (@marieelenasrn sur Instagram), elle, a « mis la tech au cinéma ». Elle réalise des mini-films très narratifs, construits autour de « combats internes » retranscrits dans une esthétique particulièrement soignée. Active « surtout sur Instagram pour sa proximité avec la communauté », elle utilise principalement Premiere Pro, mais aussi Lightroom Mobile : « Je ne suis pas du tout photographe de base et c’est très simple de retoucher avec cette application », précise-t-elle. YouTube lui sert pour l’instant de plateforme de repost, mais elle ambitionne d’y produire davantage de courts-métrages.
Vincent Balthasar, dit Balth (@balthhh sur Instagram), réalisateur, freelance et créateur de contenu, collabore avec des marques ou couvre des événements, notamment dans « les domaines de la tech, du sport et, de plus en plus, de la musique ». Sur Instagram, il « raconte [son] quotidien à travers la création de contenu, en parlant des techniques [qu’il] utilise pour [ses] productions ». Il monte sur Premiere Pro, ajoute des effets via After Effects, et réalise ses miniatures sur Photoshop.
Un accueil enthousiaste de l’intelligence artificielle
Quand l’intelligence artificielle s’est invitée dans leur palette d’outils, tous trois ont réagi avec curiosité et excitation. « J’ai trouvé ça incroyable », se souvient Kumo Bryo, passionné par « toutes les nouveautés » en matière de tech. Pour lui, l’IA s’est imposée immédiatement comme un soutien : « Je travaille beaucoup tout seul, donc ça me donne du temps pour aller plus loin ».
Chez Marie Elena, l’adoption a été instantanée : « Ça m’a beaucoup excitée. J’ai tout de suite adhéré à ChatGPT. J’ai pris le plan payant directement, téléchargé l’application mobile dès sa sortie… c’est vraiment mon assistant de vie. » Balthhh parle lui aussi d’un enthousiasme très autodidacte : « Ça a nourri mon côté geek. On aime bien décortiquer les choses, savoir comment ça fonctionne. Quand il y a de nouvelles fonctionnalités, on est curieux d’explorer plutôt que de repousser. »
Pour ces trois créateurs, l’IA est d’abord apparue comme une nouvelle boîte à outils qui stimule et ouvre l’horizon des possibles.
Quelles pratiques pour quels gains ?
Ces trois créateurs utilisent principalement l’IA pour optimiser leur flux de production. Une approche représentative d’une tendance générale : selon l’étude menée par Adobe, les créateurs et créatrices français intègrent l’IA générative, notamment pour retoucher, adapter et améliorer leurs contenus.
Chez Kumo Bryo, l’IA sert en premier lieu à structurer ses voix off : « Je vais écrire toutes mes idées et après je vais venir les retravailler avec ChatGPT, pour faire quelque chose de plus propre, plus concis ». Mais son usage principal reste la photo, notamment avec Firefly : « Si je dois faire une photo et qu’il y a beaucoup de monde, je ne vais plus m’embêter systématiquement à attendre le moment parfait. Je sais qu’avec les outils en ma possession, je vais pouvoir supprimer des personnes ou des éléments en arrière-plan ». Un gain de temps précieux : « Ça me donne de la marge pour aller plus loin ».
Marie Elena est sur la même longueur d’onde. Si ChatGPT est devenu « son meilleur ami », elle utilise avec parcimonie certaines fonctionnalités d’IA intégrées aux outils pour réparer une maladresse, par exemple en « rallongeant de quelques secondes un plan coupé trop tôt », ou pour réaliser « la transcription automatique des sous-titres », qui lui a « un peu changé la vie ».
Si Balthhh aime « se torturer l’esprit pour trouver [ses] idées », il reconnaît que certains outils d’assistance lui rendent de fiers services. La transcription et le sous-titrage automatique lui sont également « hyper utiles », tout comme l’amélioration audio (Enhancer) « qui a sauvé pas mal de projets ». Enfin, il ajoute que des fonctions comme le Generative Extend sur Photoshop sont de « petits bonheurs » pour adapter des visuels aux formats des différentes plateformes, ce qu’approuvent ses deux comparses. Enfin, une fonction comme le « Media Intelligence » l’aide à retrouver facilement des rushs ou des éléments d’interview parmi une bibliothèque pouvant rapidement être très riche dans des projets importants.
Tous trois rappellent que dans leur métier, ils gèrent souvent l’intégralité de la chaîne de production : « On ne peut pas toujours tout maîtriser », rappelle Balthhh. L’IA leur permet de sécuriser le résultat tout en restant autonomes dans la création et la production.
Et au final, l’IA… inquiétude ou stimulation ?
Des inquiétudes et des questionnements…
À mesure que l’IA s’est imposée dans leur quotidien, les positions évoluent, se nuancent. Si l’outil fascine toujours, il bouscule aussi certains repères. « Je peux comprendre que ça puisse faire peur », admet Kumo Bryo, même s’il ne ressent personnellement « pas d’inquiétude particulière », y compris à long terme.
Le point de vue de Marie Elena change lui aussi. Elle, qui a passé beaucoup de temps à maîtriser des outils et techniques, semble parfois frustrée de voir à quel point des fonctionnalités d’IA affranchissent l’utilisateur ou l’utilisatrice d’une longue phase d’apprentissage, très souvent en autodidacte. Elle s’inquiète aussi pour les métiers « très visuels, très créatifs », mais aussi pour la confiance du public : « Sur les réseaux sociaux, on peine parfois de plus en plus à différencier une vraie vidéo d’une fausse ». Une préoccupation qui peut être d’autant plus forte que, selon l’étude d’Adobe, 66 % des créateurs français s’inquiètent de la manière dont leurs contenus pourraient être utilisés pour entraîner les modèles d’IA.
Balthhh anticipe lui aussi une transformation profonde de la filière, sans pour autant prophétiser la disparition des métiers. « Ça va bouleverser l’industrie de la création », estime-t-il, imaginant une séparation de plus en plus nette entre le « fait main » et le « fait avec l’IA ». Mais pour lui, l’essentiel est ailleurs : « Ne pas perdre l’intention à travers l’IA. À partir du moment où on met l’IA au service de ses intentions, c’est cool ». Refuser ces technologies en bloc serait, selon ses mots, « lutter contre l’inéluctable ».
…Mais une motivation inébranlable
Ces craintes n’ont pourtant pas entamé leur désir de créer. Au contraire. « Ça me booste de fou », sourit Kumo Bryo, ravi de pouvoir pousser plus loin certaines idées. Comme ce jour où il a ramené « une porte dans une forêt pour un plan de trois secondes » : un degré de folie assumé, rendu possible, dit-il, par le temps sauvé grâce à l’IA. « Je vais tellement plus vite sur d’autres choses que je peux vraiment aller au plus haut de ma créativité et faire des trucs un peu fous. »
« C’est un booster », renchérit Marie Elena, pour qui l’assistance technique permet de viser « un contenu le plus qualitatif possible », surtout pour des créateurs et créatrices ayant l’habitude de travailler en solitaire. Elle s’amuse d’ailleurs à imaginer brouiller les pistes entre réalité et IA, pour semer le doute malgré des productions réalisées de A à Z. « Pour le moment, c’est surtout une source motivation ! »
Pour Balthhh aussi, l’IA constitue un nouveau terrain de jeu stimulant : « Ça permet d’aller encore plus loin dans la démarche artistique ». Et c’est également un « certain confort, face à des demandes clients, des deadlines… » Ainsi, si l’IA soulève et soulèvera des questions sur l’avenir des métiers créatifs, elle agit aujourd’hui, pour eux, comme un accélérateur de créativité et un allié dans leurs ambitions.