Droit d’auteur et contenus générés par IA : que dit la loi ?

Nous avons interrogé deux avocates spécialistes des questions de propriété intellectuelle pour un éclairage juridique sur les contenus générés par IA.

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L’utilisation d’IA peut conduire à une violation des droits de propriété intellectuelle. Mais encore faut-il le prouver... © Rokas - stock.adobe.com

Le cabinet d’avocats Linklaters nous explique les problématiques de propriété intellectuelle qu’engendrent les IA génératives comme ChatGPT ou Midjourney et les règles qui s’appliquent aujourd’hui en matière de droit d’auteur et d’intelligence artificielle.

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Pauline Debré, avocate chez Linklaters

Pauline Debré dirige le département Propriété Intellectuelle, Technologies, Médias et Télécommunications chez Linklaters à Paris. Elle possède une expertise englobant tous les domaines de la propriété intellectuelle et conseille ses clients pour tous types de litiges, tant nationaux que transfrontaliers, et est notamment reconnue pour sa maîtrise des contentieux de PI.

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Laetitia Nicolazzi, avocate chez Linklaters

Laetitia Nicolazzi est collaboratrice senior au sein du département Propriété Intellectuelle, Technologies, Médias et Télécommunications chez Linklaters à Paris. Elle conseille ses clients dans tous les domaines de la propriété intellectuelle, y compris brevets, marques et droits d’auteur, tant en matière contentieuse que transactionnelle.

En tant qu’avocats, quelles problématiques de propriété intellectuelle voyez-vous émerger depuis la sortie d’outils IA comme ChatGPT ou Midjourney ?

L’utilisation grandissante d’outils d’intelligence artificielle soulève de nombreuses questions juridiques au regard des droits de propriété intellectuelle. En effet, les IA comme ChatGPT ou Midjourney fonctionnent en collectant des données pour entraîner l’outil d’IA, qui peuvent inclure des informations, des créations, des signes ou des inventions protégés par des droits de propriété intellectuelle. Se pose alors la question de savoir si les actes de collecte des données et leur intégration dans l’outil d’IA constituent des actes de contrefaçon. Plusieurs contentieux sont en cours sur ce point dans le monde, notamment une action qui oppose la banque d’images Getty Images à Stability AI.

Certains outils IA sophistiqués sont également en mesure de reproduire des voix et des expressions faciales à partir de quelques images et fichiers audio (deepfakes). La chanson Heart On My Sleeve publiée sur les plateformes de streaming comme un morceau de Drake et The Weeknd en est un bon exemple puisqu’il s’agissait en réalité d’un titre réalisé par un internaute à l’aide d’un outil d’IA.

L’utilisation d’IA peut donc facilement conduire à une violation des droits de propriété intellectuelle et des droits de la personnalité et à des dérives allant jusqu’à l’usurpation d’identité.

Enfin, se pose la question de savoir qui est responsable lorsque les œuvres générées à partir d’un outil d’IA portent atteinte à des droits de propriété intellectuelle existants et comment limiter les risques.

Lorsqu’on parle de contenus générés par IA, concrètement, que dit la loi actuelle concernant les droits d’auteur ?

Le droit d’auteur français protège les « œuvres de l’esprit », si elles sont « originales ». Les tribunaux considèrent qu’une œuvre est originale lorsqu’elle porte « l’empreinte de la personnalité de son auteur », résultant notamment de choix libres et créatifs. Deux questions se posent en relation avec l’IA : l’outil IA peut-il avoir la qualité d’auteur ? Les créations générées par IA peuvent-elles être originales ?

En droit français, seule une personne physique peut avoir la qualité d’auteur (par exception, une personne morale peut être investie des droits d’auteur afférents à une œuvre collective).

Une machine ou un logiciel ne peut donc pas se voir reconnaître comme l’auteur d’une œuvre au sens du Code de la propriété intellectuelle. La situation est différente au Royaume-Uni par exemple.

Le contenu généré par l’IA est obtenu par l’intervention d’un être humain qui va lui donner des instructions. La personne qui donne des consignes à l’outil d’IA peut-elle se voir reconnaître la qualité d’auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle ? Il semble difficile de répondre positivement à cette question en ce qui concerne les résultats bruts générés par l’outil. Ceux-ci sont imprévisibles pour l’utilisateur puisqu’il suffit qu’un ou deux mots clés diffèrent pour que le contenu généré par l’IA soit drastiquement différent.

Ainsi, dans la mesure où l’utilisateur n’a pas la maîtrise des résultats qui seront générés par l’IA, il est difficile de considérer que ceux-ci sont empreints de sa personnalité. En revanche, si le résultat généré par IA est retravaillé par l’utilisateur, celui-ci peut être protégé par un droit d’auteur s’il répond à l’exigence d’originalité du Code de la propriété intellectuelle.

Quelles sont les propositions de loi en cours pour mieux cadrer les droits d’auteur des contenus générés par l’IA ?

La directive 2019/790 permet la reproduction et l’extraction d’œuvres aux fins de la fouille des textes et de données, à condition que l’utilisation des œuvres n’ait pas été expressément réservée par leurs titulaires de droits par un système d’ « opt out ». Ce droit de fouille a été adopté en 2019, à une époque où personne n’imaginait l’importance qu’allait prendre l’IA et le système d’opt out semble insuffisant à protéger les titulaires de droits car il est difficile de contrôler son respect par les outils d’IA.

Un autre texte est en en cours de discussion au niveau européen, l’IA Act, qui est un projet de Règlement visant à encadrer l’usage et la commercialisation des intelligences artificielles au sein de l’UE. Ce projet a été approuvé le 14 juin 2023 par le Parlement européen. Son adoption est prévue pour la fin 2023, début 2024 avec une application différée de 18 à 24 mois après son entrée en vigueur.

L’IA act prévoit notamment d’imposer aux plateformes d’IA spécifiquement destinées à générer du contenu tel que du texte complexe, des images, du son et des vidéos, à communiquer au public un « résumé suffisamment détaillé » de l’utilisation des données d’entraînement protégées par le droit d’auteur. Cette disposition ((article 28b, 4. c) du projet) semble imposer aux IA de citer leurs sources (ndlr : ChatGPT ne cite pas ses sources pour le moment), reste à voir si cela est faisable en pratique.

Quels sont les droits d’auteur impliqués si l’IA génère du contenu basé sur des œuvres déjà existantes ?

Le droit français accorde à l’auteur d’une œuvre de l’esprit deux types de prérogatives : des droits patrimoniaux relatifs à l’exploitation de l’œuvre (droit de reproduction et droit de représentation), et des droits moraux davantage liés à la protection de la personnalité de l’auteur (droit de paternité, droit au respect de l’œuvre, droit de divulgation et droit de retrait).

Pour établir une violation des droits d’auteur afférents à une œuvre qui aurait contribué à nourrir une IA, il faut démontrer que le résultat généré grâce à l’IA reproduit en intégralité ou au moins en partie les caractéristiques originales de cette œuvre. Or, cela ne sera pas le cas dans la majeure partie des cas.

En effet, plus la masse de données utilisée pour nourrir l’IA est importante, moins l’IA risque de reproduire une partie importante du contenu sur lequel elle a été entrainée. Or, à titre d’exemple, la version 3.5 de ChatGPT a été nourrie d’environ 45 téraoctets de données textuelles.

Si l’œuvre générée ressemble à une œuvre préexistante, les critères habituels d’appréciation de la contrefaçon s’appliqueront et si le résultat est une œuvre dérivée d’une œuvre préexistante, celle-ci ne pourra pas être exploitée sans l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre originale.

Quels sont les recours juridiques possibles pour les créateurs dont les œuvres sont utilisées par l’IA sans autorisation ou attribution ?

La première difficulté pour les titulaires de droits d’auteur va être d’obtenir les preuves nécessaires au soutien d’une action en justice. Comment prouver que les œuvres ont permis de « nourrir » et entraîner l’IA ?

Ensuite, si l’œuvre générée par l’IA ressemble à l’œuvre préexistante, il convient de déterminer à l’encontre de quel défendeur agir. Faut-il agir contre la personne qui exploite l’œuvre générée par l’IA ou contre la plateforme IA (si les conditions d’utilisation de la plateforme le permettent) ?

Enfin, le demandeur devra identifier la juridiction compétente pour son action.
Si l’auteur parvient à passer ces premières barrières et à justifier la compétence du juge français, il pourra envisager une action en contrefaçon et lui demander d’ordonner l’interdiction d’exploiter le contenu litigieux généré par l’IA ainsi que des dommages-intérêts visant à réparer son préjudice.

Quelles recommandations donneriez-vous aux entreprises qui utilisent l’IA pour générer du contenu pour bien se conformer aux lois sur les droits d’auteur ?

Pour une entreprise qui utilise sa propre IA, le premier réflexe à adopter est de sélectionner les données/images qui sont utilisées pour nourrir l’IA et s’assurer que l’auteur de celles-ci ne s’est pas opposé à leur reproduction/extraction aux fins de la fouille des textes et de données.

Pour une entreprise qui utilise des IA développées par des tiers comme ChatGPT, il est important de prendre connaissance des conditions générales d’utilisation de ces plateformes, et notamment des dispositions relatives à la titularité des droits de propriété intellectuelle sur les contenus générés et sur la responsabilité de la plateforme, ainsi que les éventuelles licences octroyées à la plateforme pour la réutilisation des œuvres générées pour nourrir l’IA au bénéfice d’autres utilisateurs.

Enfin, le fait d’être propriétaire des droits sur les œuvres générées ne dispense pas de réaliser des analyses de liberté d’exploitation et il est recommandé de donner des instructions claires aux équipes marketing qui utilisent ces outils.

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