Arc, le navigateur qui voulait (trop) changer les règles du jeu
Arc aspirait à concurrencer Chrome en réécrivant les règles de la navigation web, notamment sur la gestion des onglets. Aujourd’hui, le projet semble à l’arrêt.

Qui aura la peau de Google Chrome (2/5)
Au terme d’une procédure initiée en 2020, le ministère américain de la Justice (DOJ) pourrait bientôt prononcer une décision historique : un démantèlement de Google, incluant la cession de son navigateur Chrome. Si ce scénario venait à être confirmé, il s’agirait d’un tournant dont les conséquences restent encore difficiles à évaluer. En attendant l’épilogue de ce bras de fer, BDM ouvre une série en cinq volets consacrée aux prétendants hypothétiques au trône laissé vacant par Chrome. Ces outsiders, d’Arc à Firefox, qui tentent de se faire une place sur un marché écrasé, depuis 2008, par le « Big browser ». Chacun avec leurs atouts.
Dans ce deuxième épisode, focus sur Arc, qui a bougé les lignes avant d’être laissé à l’abandon par The Browser Company, au profit d’un navigateur dopé à l’IA.
À quel moment peut-on objectivement déclarer la mort d’un logiciel ? Est-ce lorsqu’il cesse d’évoluer, qu’il ne reçoit plus que des patchs de sécurité, ou seulement lorsque ses développeurs l’abandonnent officiellement ? Sur r/ArcBrowser, le subreddit entièrement consacré à Arc, la question revient inlassablement ces dernières semaines, entre les mèmes fatalistes et les rant sur sa consommation de batterie sur Mac. Comme si cette communauté devait désormais faire son deuil collectivement : tourner la page, abandonner un navigateur qu’elle avait pourtant pris le temps d’apprivoiser, pour revenir à une expérience de navigation plus classique. Quitte à, de nouveau, se noyer sous les onglets.
My initial reaction after trying Dia: “you gave up all of THIS… for… THIS?!”
byu/Thaetos inArcBrowser
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Au revoir Arc, buenos Dia
Les optimistes argueront qu’Arc n’intègre plus de nouvelles fonctionnalités, certes, mais qu’il reste à jour grâce aux nouvelles versions de Chromium. Les autres, plus fatalistes, estimeront que le décès a été prononcé par Josh Miller le 2 décembre 2024. Ce jour-là, dans une vidéo publiée sur YouTube, le PDG de The Browser Company, donnait un premier aperçu d’un nouveau produit nommé Dia : un « navigateur intelligent », toujours basé sur le projet Chromium et intégrant nativement l’IA, dont les contours avaient déjà été vaguement présentés par ce même Josh Miller en octobre.
Annoncé pour « début 2025 » – une échéance qui sera difficile à tenir, maintenant qu’on est en avril – Dia semble, a priori, revenir à une architecture plus conventionnelle, tout en intégrant une série de fonctionnalités dopées à l’IA, censées accomplir des tâches à la place de l’utilisateur, rechercher des informations en ligne ou encore générer du texte. Avec cette approche, qui n’a plus rien de révolutionnaire, à ce stade, mais qui s’inscrit dans les tendances actuelles, Dia ambitionne de réussir là où Arc a échoué : devenir un navigateur mainstream, capable de se faire une place sur un marché cannibalisé par Google Chrome. Autrement dit, sortir du cercle restreint des technophiles ultra-organisés « qui [font] des tableaux Excel pour planifier [leurs vacances] », comme le dépeignait un employé de la startup new-yorkaise auprès de The Verge, pour générer des revenus et assurer la suite.
« Un produit apprécié, mais qui ne deviendra jamais un game changer »
Même si The Browser Company s’en défend, l’annonce du développement d’un nouveau produit sonne comme un aveu : Arc ne sera ni le navigateur du futur, ni un « nouveau chez-soi sur Internet », comme espéré. Malgré un certain engouement – l’entreprise annonce avoir quadruplé son nombre d’utilisateurs en un an, sans toutefois préciser le volume – ce navigateur web n’aura jamais à dépasser le cercle des power users qui scrolle sur Reddit, lit Hacker News et écoute Hard Fork en lavant la vaisselle. Son interface, à la fois séduisante et atypique, impliquait « trop de nouveautés, trop de changements », selon Josh Miller, ce qui l’a empêché de boxer dans la même catégorie de concurrents plus conventionnels, comme Firefox ou Opera, déjà en retrait par rapport à Chrome.« The Browser Company s’est retrouvé dans une situation que connaissent de nombreuses startups : un produit apprécié, mais qui ne deviendra jamais un game changer », résumait assez justement le journaliste David Pierce, dans les colonnes de The Verge, après avoir échangé avec son PDG.
Et on peut légitimement s’en émouvoir, tant Arc a su, en quelques mois, bousculer un marché figé, où chacun jouait sa carte pour exister en marge du mastodonte Chrome, qui capte aujourd’hui plus de 66 % des parts de marché dans le monde, d’après StatCounter. Quand Firefox misait sur la protection des données, Safari sur l’intégration à l’écosystème Apple ou Brave sur le blocage des pisteurs, Arc s’est, dès le départ, positionné comme un « système d’exploitation pour le web« . Une plateforme qui voulait s’adapter aux besoins contemporains de l’utilisateur, davantage façonnés par l’expérience mobile que par les interfaces desktop.
Chrome empilait les onglets, Arc les a rangés
Depuis sa première version publique déployée en juillet 2023 sur macOS, Arc s’est donc attaqué à un mécanisme fondamental du navigateur web : les onglets, dont la gestion, il est vrai, s’apparente à un casse-tête lorsqu’ils s’accumulent. Un chantier ambitieux, que Google n’avait aucune raison d’entamer avec Chrome, qui a toujours été envisagé comme une passerelle vers ses autres services, notamment son moteur de recherche, comme le rappelait Darin Fisher dans The Verge. Selon cet ingénieur, qui a débuté sa carrière chez Netscape, avant de travailler pendant 16 ans sur le développement de Chrome, puis de migrer chez The Browser Company, l’ouverture et la fermeture frénétique d’onglets n’avaient rien d’un problème. C’était même plutôt une victoire, pour Google : « Si on aide l’utilisateur à revenir à sa tâche, il n’avait plus besoin de faire une recherche ».
The Browser Company, qui n’était pas contrainte par ce genre de considérations et qui cherchait à se distinguer en débarquant à contretemps sur un marché saturé, a donc misé sur des mécaniques radicalement innovantes. « Nous savons que vous n’avez pas besoin d’un nouveau navigateur, alors nous avons construit une nouvelle façon d’utiliser Internet, tous ensemble », vendait la startup.
Dès le lancement, Arc offre des fonctionnalités aussi déroutantes que prometteuses : une sidebar personnalisable où les onglets peuvent être affichés, épinglés ou archivés en remplacement de la barre d’onglets, une barre d’adresse déplacée en haut à gauche plutôt qu’au centre, ou encore des Spaces, qui permettent de compartimenter la navigation par thématique (travail, réseaux sociaux, streaming, organisation d’un voyage, etc.). Arc tente également le pari de la Split View, permettant d’afficher jusqu’à trois fenêtres côte à côte, ou de l’affichage d’une barre de commande à l’ouverture d’un nouvel onglet. Le tout, enrobé dans un design moderne, bien moins austère que ses rivaux avec de nombreuses options de personnalisation.
Avec cette proposition, The Browser Company aspirait à « mettre de l’ordre dans le chaos de [la] vie en ligne », en remettant en cause des mécanismes bien établis. Et ceux qui l’ont adopté savent que le pari a été brillamment relevé. D’autant que, dans le passé, certains géants se sont heurtés à une résistance pour des changements bien plus minimes. En 2021, Apple avait, par exemple, essuyé de vives critiques en déplaçant simplement la barre d’URL en bas de l’écran sur la version mobile de Safari.
Le pari risqué de la rupture
Mais ce qui fait la singularité d’Arc est aussi, paradoxalement, ce qui freine son adoption : sa prise en main n’a rien d’évident. Non pas parce qu’il est technique ou volontairement complexe, au contraire, mais parce qu’il chamboule des repères ancrés dans nos habitudes. Il introduit aussi toute une série de concepts, qui peuvent décourager ceux qui trouvent que Chrome fait très bien le job. Josh Miller, lui-même, en convenait dans le podcast Decoder : « J’aimerais qu’on n’ait pas autant de nouveaux concepts. Et je pense que l’outil est trop complexe pour beaucoup de gens et qu’il a besoin d’être simplifié ».
« Arc est le remplaçant de Chrome [qu’on] attendait », aimait-il répéter, en reprenant une citation flatteuse tirée d’une critique de son outil. Mais force est de constater que la marche était, pour l’instant, trop haute. « D’une certaine manière, c’est terrifiant. Sur le papier, nous n’avons absolument aucun avantage face à Google. Ils ont plus d’argent. Plus de monde. Plus de tout, en réalité », concédait-il face à Nilay Patel.
Mais alors, sans même parler de rivaliser, comment simplement exister ? Pour le PDG, cela implique de repartir d’une feuille blanche, « non pas en se demandant ce que les navigateurs faisaient hier, mais « comment peut-on créer une journée cohérente sur Internet », qui vous fait gagner du temps et prend en charge les tâches pénibles à votre place ? ». Depuis le 2 décembre dernier, cette « feuille blanche » s’appelle Dia. Et l’IA s’est empressée d’y générer les premières lignes.
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